• En 1983, Hugo Claus faisait paraître à Amsterdam, chez De Bezige Bij, son formidable roman Het verdriet van België (dont la traduction française, Le Chagrin des Belges, a été publiée en 1985 à Paris chez Julliard, puis en version de poche en 2003 aux Éditions du Seuil, dans la collection "Points" où elle est toujours disponible).

    C’était – et cela demeure plus que jamais – un gigantesque pavé dans la mare de la conscience collective flamande contemporaine, nourrie des mythes d’une Flandre exclusivement travailleuse, tenace et honnête du fait de ses convictions religieuses bien assises, et atteinte d’un profond complexe face à la langue et à la culture françaises, qui n’est d’ailleurs pas près de s’éteindre et lui fait aujourd’hui avaler les couleuvres d’une prétendue oppression wallonne ou hexagonale depuis 1830, justifiant l’émergence d’un nationalisme sourcilleux, idéaliste et qui aurait cherché, au milieu des tempêtes de l’histoire, à préserver les intérêts moraux et sociaux de son peuple affligé.

    Or, voilà que le plus grand écrivain du Plat Pays – mais ses compatriotes ne faisaient alors que pressentir l’étendue de son talent et la force de son œuvre – opérait une salvatrice remise en cause de l’image d’Épinal que les Flamands brandissaient à leur propre usage, en rappelant combien ils pouvaient être et avaient été filochards et filous, en particulier durant la Seconde Guerre mondiale, en ce compris les nonnes et les prêtres... Marché noir, collaboration, rapprochement « sexuel » avec l’occupant, délation, tout y passe… et démontre la très large absence d’idéaux élevés au profit d’un matérialisme bien terre-à-terre et à travers d’innombrables et discutables arrangements entre amis. Inutile de préciser quel accueil lui fut réservé par l’establishment flamand, depuis longtemps investi dans les luttes tribales belgo-belges.

    Mais Hugo Claus n’en avait cure, il persista et signa, puis développa une œuvre qui aurait dû lui valoir le prix Nobel de littérature. Atteint de la maladie d’Alzheimer, il a décidé voici peu de temps et comme la loi l’y autorise, de refuser la déchéance physique et mentale en réclamant – et en obtenant – l’euthanasie active, ultime pied de nez à l’archevêché de Malines… Par la force de son caractère, par la puissance de son talent, par la profondeur de ses idées, par la finesse de son ironie et par ses qualités de styliste ayant élevé la langue de Vondel à la hauteur de celle de Voltaire, il est l’honneur des lettres flamandes de Belgique.

    Hugo CLAUS, Le Chagrin des Belges, Paris, Éditions du Seuil, 2003, collection “Points”, 848 pp, 11 €






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