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    Tout commence par un tableau. Léo observe minutieusement les détails de la toile qu’il a acquise. Une œuvre signée Bill, une œuvre qui représente Violet, une œuvre qui, étrangement, s’intitule Autoportrait. Le ton du livre est donné : tout n’est qu’histoire de « mélanges », « d’interaction humaine ». Loin de dresser un inventaire –comme le titre du roman pourrait le suggérer- des personnes et instants qu’il a chéris, Léo nous offre, avec le recul de l’âge, un autoportrait collectif d’individus liés par « une géométrie cruelle ». « Plus ma vie se prolonge, plus je suis convaincu que lorsque je dis 'je', en réalité je dis 'nous'.». Un « nous » initialement choisi –l’entité des deux couples amis-, et parfois subi avec un +1 lourd à porter, Marc le fils mythomane et délinquant de Bill, et un -1 omniprésent, Matthew l’enfant tragiquement disparu de Léo et Erika.

    Au-delà des péripéties de ces existences imbriquées, le lecteur est happé par leur cadre même. Entre ateliers,  galeries et bons livres d'art, Siri Hustvedt incite à s’interroger sur l’art en tant qu’instrument de pensée, sur l’absurdité de sa marchandisation et « le glissement vers la troisième personne qui (fait d’un nom) un bien négociable », sur sa définition contemporaine devenue floue et controversée, sur sa capacité intrinsèque à défier la temporalité. « Quelqu’un peint un tableau dans le temps, mais une fois qu’il est peint, le tableau reste au présent ». La réflexion sur le temps dépasse la dimension artistique et s’étend à cette étrange fonctionnalité du cerveau humain qu’est la mémoire. Léo la cultive grâce à une collection « d’objets (qui) deviennent des muses » et qu’il accumule dans un tiroir, comme des trésors témoins de son histoire. Photographies de sa famille déportée dans un camp de concentration, couteau suisse gravé des initiales de son fils disparu, coupure de presse exhibant Bill et Violet, restes d’un emballage de beignets brûlé par Marc… Ces reliques deviennent familières au lecteur ; elles apparaissent comme un fil conducteur ; ce sont les cailloux semés par Hansel et Gretel, par ailleurs sujets d’une série d’œuvres de Bill. Autre contexte, diffus mais bien présent : la folie humaine. Entre les gentilles névroses de chaque personnage, la schizophrénie de Dan, frère de l’artiste, les essais de Violet sur l’hystérie féminine au XIXe siècle, le lecteur flirte avec l’insupportable constat qu’il lui faut trouver sa place dans un monde d’aliénés.

    Un cadre très riche donc, qui a son importance autant que l’action elle-même, tout comme la construction du récit, en parfaite cohérence avec son contenu et qui donne l’impression que la boucle est bouclée. Un vrai morceau de littérature, sensible, ambigu et réfléchi, destiné à nous accompagner encore bien après la lecture.

    • Siri Hustvedt, Tout ce que j’aimais, Actes Sud, janvier 2003, 455 pages, 23€


  • critique du roman Madeleine, d'Amanda SthersMadeleine est pour moi une bonne découverte.

    C'est typiquement le genre de récit torturé que j'affectionne. La mélancolie et la tristesse qui ressort de ce roman est à l'image du ciel breton, gris et pluvieux. Le style est clair, très simple, mais efficace.

    Une belle histoire touchante, qui sent bon la mer salée et qui donne envie à chaque page de réconforter ces personnages. Dommage cependant qu'une fois de plus, tout tourne autour de scènes crues...

    Je ne comprends toujours pas pourquoi les auteurs contemporains s'obstinent à ça!


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    livre de Patrick Deville, avec Peste & CholéraPatrick Deville, avec Peste & Choléra (Prix Femina 2012), écrit sans se soucier de la chronologie, un roman foisonnant sur la liberté, une enquête déroutante sur la vie du quasi oublié Alexandre Yersin, à la fois grand voyageur et découvreur, qui cartographiera le premier l’intérieur des terres indochinoises, tiendra à jour ses découvertes sur des carnets, découvrira le bacille de la peste et son vaccin et fera notamment construire un institut Pasteur à Nha Trang (aujourd’hui au Vietnam).

    De cet auteur, nous conseillons également Kampuchéa, son précédent roman au Seuil, où le narrateur nous embarque sur les traces de Henri Mouhot (avec au bout Les Khmers rouges) en remontant le fleuve Mékong, depuis son delta jusqu’aux frontières de la Chine.

    Il y aussi un projet littéraire beaucoup moins connu de Patrick Deville que nous aimons beaucoup. Il s’agit de Vie et mort sainte Tina l’exilée (publie.net). Toujours en utilisant ses propres méthodes d’investigations et de restitution, l’auteur entreprend ici de raconter la vie de Tina Modotti, une femme qui en une moitié de XXe siècle a connu un destin exceptionnel (tour à tour ouvrière, couturière, mannequin, comédienne puis figurante à Hollywood, photographe et militante révolutionnaire…).

    Exilée aux Etats-Unis à la veille de la première guerre mondiale, cette femme originaire du Frioul sera sensible à la révolution mexicaine, s’y installera, deviendra l’égérie de Diego Rivera, recevra les jeunes artistes de l’époque (Manuel Alvarez Bravo, Frida Kahlo…), retournera en Europe pour prendre part à la Guerre d’Espagne et sera mêlée à quelques scandales et procès.

    Ce récit, outre son sujet et son traitement, mêle également les outils actuels puisqu’il contient plus de 160 liens Wikipedia qui le transforment en une aventure numérique vertigineuse.

     


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    ais sur le roman Poreuse  de Juliette Mézenc Après avoir publié Sujets sensibles il y a 3 ans, publie.net vient de mettre en ligne un nouvel ensemble de Juliette Mézenc intitulé Poreuse, un récit polyphonique et labyrinthique, ludique et pensé. Bien que ce récit offre la possibilité d’une lecture non linéaire, les gardes-fous sont ici assez maîtrisés pour que chacun de nous puisse se faire sa propre histoire à partir des fragments écrits par Juliette Mézenc sans avoir l’impression d’être face à un amas de textes.

    Il y aurait donc, si nous voulions insister, autant d’histoires possibles qu’il y aurait de lectures. Les hyperliens permettent cette exploration, cette aventure, avec possibilité d’avancer, de prendre une autre histoire en cours ou bien de revenir en arrière. Très vite vous comprendrez qu’il y a là trois personnages.

    Ce sont eux que vous suivrez. Au-delà du côté ludique et technologique, au-delà de la prise de risque et de l’inventivité, on est bien ici dans un beau projet littéraire où l’écriture ciselée et le sujet (avec tonalités sensibles, cyniques et politiques) méritent d’être salués. Deux extraits ci-dessous pour vous donner une idée de ce projet. 


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    Michel Foucault  - les mots et les chosesDans son livre les mots et les choses , Il définit ces "conditions du discours" par le mot "épistémologie", étymologiquement proche de la notion d'épistémologie. Foucault analyse ici les différentes transformations des sciences. Ceux de la langue : la grammaire générale évolue vers la linguistique. Celles de la vie : l'histoire naturelle se tourne vers la biologie. La science de la richesse correspond à une mutation de l'épistéme dont est née l'économie moderne. Dans un autre ouvrage , Surveiller et punir , il définira l'épistémé du pouvoir bio-politique à l'ère moderne.

     

    La notion d'épistéme chez foucault

     

    Episteme est ainsi confronté à l'histoire des idées, à l'histoire des sciences, il est l'objet et le résultat d'une élaboration conceptuelle où "archéologie" remplace "histoire"

    C'est à partir de ce concept d'épistéme, et de sa relation avec l'archéologie, que Foucault s'affirme comme le penseur de la discontinuité historique, le penseur de la rupture. Certes Foucault rejette clairement toute l'histoire continue et progressive, mais son travail ne consiste pas à s'opposer à l'histoire des sciences, des idées (même si celles-ci doivent être relativisées et critiquées), c'est plutôt à Foucault de tenter de s'écarter, de risquer sa pensée en introduisant le sens de la conscience même du détachement que l'on peut percevoir de notre propre pensée.

    Foucault définit également l'œuvre comme " ce qui est susceptible d'introduire une différence significative dans le champ de la connaissance, au prix d'une certaine pénalité pour l'auteur et le lecteur, et avec la récompense possible d'un certain plaisir, c'est-à-dire, d'un accès à une autre figure de vérité