mon univers de lectures
Ted STANGER, l’ami américain, pour avoir vécu dix longues années dans l’hexagone en partageant au quotidien nos us et coutumes, sait de quoi il cause, et ainsi pourvu de l’oeil acéré du témoin privilégié, est même en mesure de voir ce que souvent nous refusons de regarder en face. Relations internationales, Politique, Economie, Médias, Société, Culture... Stanger passe tout en revue, et au peigne fin, en étayant son propos d’une profusion d’exemples significatifs. Résumer un texte qui traite d’autant de sujets s’avérant fastidieux, nous nous contenterons donc de nous arrêter sur quelques points en particulier.
Ted a eu loisir de s’en apercevoir : les "fromages qui puent" ploient sous la paperasse, et le dieu fonctionnaire règne en maître absolu sur ses administrés, dociles citoyens entièrement dévoués à l’indéfectible suprématie bureaucratique. "La France est sûrement le seul pays au monde où les factures ont une vie plus longue que les lettres d’amour", nous dit-il, narquois. Mais on peut comprendre son étonnement devant un tel phénomène, quand le Français en quête d’un logement a obligation de fournir une foison de documents, alors qu’il suffit à l’Américain d’émettre un chèque. Et puis toujours ce besoin de justification identitaire... "Les scènes des films français où des flics entrent dans un lieu malfamé en hurlant "Vos papiers !" nous font sourire. C’est impensable chez nous... Personne n’a de carte d’identité ni même de livret de famille et l’on peut passer toute une vie sans jamais devoir prouver qu’on existe."
Forte de sa supposée infaillibilité, la machine administrative n’admet jamais de sa part une possibilité d’erreur. C’est même le brave compatriote que l’on va suspecter en lieu et place, le poussant ainsi à vouloir démontrer son innocence. Ceci expliquant peut-être cela, dans Sacrés Français ! Ted a pu observer cet état de fait : son copain mangeur de grenouilles, pour l’avoir entendu dire à satiété "C’est pas ma faute", chercherait dans bien des cas et avant tout à ne jamais avoir tort. On serait en droit de répliquer que sur le coup, notre envoyé spécial en Gaule abuse un peu des généralités. Mais accréditant sa thèse par une salve d’exemples, voilà qu’il nous installe devant le fait accompli. "Le Français qui se trompe de numéro de téléphone préfère raccrocher, plutôt que s’excuser." Et tout le monde de rétorquer : "Non, pas moi !" Il n’empêche que l’on se posera la question de savoir ce qui a décidé Ted à destiner tout un chapitre à l’évocation de cette présomptueuse caractéristique.
Dans le même ordre d’idées, il a également remarqué que "l’automobiliste français est le seul, ayant fait philo au lycée, qui soit capable de justifier ses excès de vitesse". Il est vrai qu’entre le franchouillard et sa bagnole, c’est une véritable histoire d’amour. Il faut voir comme certains bichonnent leur caisse, lui causant gentiment comme à un être cher, jusqu’à se montrer moins bégueules et plus affectueux envers la titine qu’avec leur tendre épouse. En contrepartie, même le plus raffiné des hommes, une fois au volant se transforme dare-dare en créature néandertalienne, son cerveau reptilien prenant largement l’ascendant sur la partie de son cortex où siège la raison. Et si l’on se doit d’aller vite, c’est parce qu’après l’heure c’est plus l’heure, surtout pour ce qui est de se restaurer, le sagace Ted ayant encore relevé ceci : tous les Français déjeunent en même temps, tel un choeur ardent de bouches affamées. "Ils ont le ventre au diapason... abandonnent leurs dossiers à 12h30, brûlent les feux rouges, écrasent les grands-mères au passage clouté pour se remplir la panse... C’est l’élan vital dont parlait Henri Bergson."... Sacré Ted !
Ted Stanger, Sacrés Français ! (Un Américain nous regarde), Gallimard / Folios documents, 224 p.